Le futur automobile européen s’embrase sous les projecteurs du débat sur la fin annoncée du moteur thermique. Entre l’inflexibilité de l’Union européenne sur la date limite de 2035 pour le 100% électrique et la multiplication des voix discordantes issues du secteur, l’incertitude règne. Tandis que des acteurs majeurs comme Renault, Peugeot, Citroën ou encore BMW s’interrogent sur la faisabilité technologique, économique et sociale de cette bascule en un temps record, l’industrie se prépare déjà à des rebondissements. Consommateurs désorientés, constructeurs tiraillés et politiques pressés d’en finir avec le thermique : chaque maillon de la chaîne tente d’anticiper l’issue d’une révolution automobile dont personne ne peut prédire, aujourd’hui, ni le tempo exact, ni le vainqueur incontesté. Ce dossier analyse, preuves et exemples à l’appui, les angles morts de l’offensive “tout-électrique” à l’européenne et les stratégies, parfois surprenantes, de résistance et d’adaptation.
Le calendrier du 100% électrique en 2035 : mythe ou réalité crédible de l’industrie automobile ?
En 2025, la grande bataille des moteurs bat son plein. L’objectif fixé par Bruxelles reste inchangé : plus de voitures neuves thermiques ni hybrides sur le marché européen à l’horizon 2035. Ce choix de cap est à la fois audacieux et incertain, car il conditionne non seulement les ambitions de l’UE dans la lutte contre le réchauffement climatique, mais aussi la survie industrielle d’acteurs aussi emblématiques que Renault, Peugeot, ou encore Volkswagen.
Mais que dit la réalité du terrain ? Les chiffres, eux, ne mentent pas. Malgré la multiplication des campagnes de communication vantant l’arrivée de modèles comme la Renault Mégane E-Tech, la Peugeot e-208 ou encore la Citroën ë-C4, le taux d’adoption du 100% électrique en Europe oscille, selon les pays, entre 10 et 25% du marché. Même chez les géants du secteur, le rythme est difficile à imposer : BMW, bien que pionnier sur l’hybride et l’électrique, n’a pas manqué de pointer les failles du calendrier imposé par l’UE. Oliver Zipse, patron du groupe munichois, a d’ailleurs récemment fustigé cette échéance, la qualifiant de “désastre” pour la filière européenne, comme relayé dans cet article.
Les doutes ne cessent de croître. Certains responsables politiques évoquent la possibilité même d’un retour en arrière, notamment en raison de la pression constante des constructeurs et des pays ayant une forte empreinte industrielle liée au thermique. Les discussions au sein de l’UE laissent entrevoir un assouplissement potentiel, tandis que des institutions telles que la Cour des comptes européenne pointent les difficultés — y compris sur la question cruciale de la chaîne d’approvisionnement des batteries.
À ce jeu de projections, plusieurs scénarios sont sur la table :
- Maintien strict du 100% électrique, sans aménagement pour les hybrides ou nouveaux carburants.
- Assouplissement via l’autorisation de certains véhicules à carburants synthétiques (e-fuels) ou hybrides rechargeables après 2035.
- Report de la date limite ou adaptation du calendrier selon la maturité industrielle de chaque État membre.
- Dérogations spécifiques pour des constructeurs ayant raté la marche de l’électrification (par exemple, Fiat ou certains acteurs allemands encore en retard).
- Retrait pur et simple de la réglementation si la pression sociale ou industrielle devient trop forte.
Les consommateurs sont, eux aussi, pris dans la tourmente. En France, 90% des automobilistes se disent peu renseignés ou réticents à l’achat d’une voiture 100% électrique, jugée encore trop chère ou peu pratique sur les longs trajets. Le scepticisme grandit face à l’instauration annoncée des Zones à Faibles Émissions (ZFE) et la contrainte grandissante sur le marché de l’occasion.
L’ancrage temporel de cette transformation galvanise ou crispe, en fonction du camp. S’affranchir du thermique en dix ans, c’est moins un défi technique qu’une véritable gageure sociétale et culturelle – d’autant plus que ni les infrastructures de recharge, ni la production européenne de batteries n’ont encore atteint la maturité promise dans les projections initiales.
La section qui suit s’intéressera aux stratégies adoptées par les géants de l’automobile pour essayer d’échapper (ou d’adopter avec souplesse) cette révolution du tout électrique.
Comment les constructeurs se préparent ou contre-attaquent face à l’échéance électrique
Les grandes manœuvres s’accélèrent dans les sièges de Renault, Peugeot et Tesla, mais également chez leurs concurrents internationaux comme Nissan, Volkswagen, Hyundai ou encore Mercedes-Benz. Pour beaucoup, il ne s’agit plus de nier la transition, mais plutôt de la modeler à leur avantage.
Le secteur mise sur une pluralité d’axes de résistance comme de relance, souvent dans les coulisses des négociations européennes ou via de nouveaux produits. Plusieurs tendances se dessinent :
- Lobbying intense : De BMW à Volkswagen, les groupes allemands s’appliquent à faire entendre leur voix à Bruxelles, poussant pour le maintien de solutions alternatives (carburants synthétiques, hybrides, e-fuels).
- Multiplication des modèles : Renault, Nissan ou encore Hyundai accélèrent la sortie de modèles électriques “abordables” ou de nouvelle génération, pour rassurer la clientèle et sécuriser leur part de marché.
- Partenariats technologiques : créations d’alliances pour mutualiser la R&D, notamment sur les batteries, ou investissement direct dans la production d’infrastructures de recharge (à l’instar de Tesla avec son Supercharger ou Volkswagen et le réseau Ionity).
- Nouveaux formats de financement : déploiement du leasing social pour les voitures électriques et extension des bonus écologiques pour rendre l’électrique accessible.
- Sécurisation de la chaîne d’approvisionnement : Mercedes-Benz et Volkswagen investissent massivement dans les filières européennes de batteries, afin d’éviter les ruptures d’approvisionnement venues d’Asie.
Un point de friction subsiste : tout le monde n’avance pas au même rythme. Ainsi, Tesla subit un coup d’arrêt sur ses ventes mondiales tandis que certains groupes chinois, comme BYD, se heurtent déjà à un ralentissement inattendu sur leurs marchés respectifs. Le succès éclair du SUV électrique de Xiaomi (près de 300 000 précommandes en une heure, cf. source) montre toute la volatilité actuelle du marché.
On note aussi une arrivée en force de nouveaux entrants, via la démocratisation de modèles à moins de 20 000 euros comme la BYD Dolphin Surf (lire ici) ou la prochaine Citroën ë-C3. Entre ambitions affichées et réalités de production, la bataille de la compétitivité se joue à coups d’innovations autant que de négociations politiques.
Quant au consommateur, entre doutes et impatience, il guette désormais les annonces de prime, de leasing social ou encore la pérennité du marché de l’occasion. Les constructeurs semblent prêts à jouer la montre, en espérant un infléchissement réglementaire ou l’arrivée de véritables ruptures technologiques.
Le prochain point mettra sous la loupe l’impact de la transition électrique sur l’industrie, l’emploi et la compétitivité européenne, qui font l’objet de critiques frontales par les dirigeants des groupes automobiles.
Impact de la fin du thermique : menace industrielle ou moteur d’innovation pour l’Europe ?
À mesure que l’UE avance vers sa révolution écologique, le spectre d’une crise industrielle et sociale resurgit à chaque conseil dirigeant. Pour certains, l’interdiction programmée du thermique pourrait signer la fin de pans entiers de l’industrie, en particulier parmi les sous-traitants spécialisés dans la mécanique moteur ou les réseaux de distribution traditionnels.
Ce souci est parfaitement illustré par la vive réaction de BMW, dont le patron, Oliver Zipse, n’a pas hésité à qualifier la politique du 100% électrique de “désastre” pour l’industrie européenne, affirmant qu’elle “détruirait l’industrie automobile” telle qu’on la connaît aujourd’hui (plus de détails ici). Les inquiétudes se fondent autant sur la perte potentielle d’emplois que sur le risque de décrochage vis-à-vis des marchés mondiaux, comme celui des États-Unis ou de la Chine.
- Réduction des effectifs : Les véhicules électriques, moins complexes, nécessitent moins de main-d’œuvre à la fabrication et à la maintenance (fini, par exemple, les chaînes de montage de boîtes de vitesses traditionnelles chez Renault ou Mercedes-Benz).
- Bouleversement de la sous-traitance : Les milliers de PME européennes sous-traitantes de Peugeot ou Fiat risquent de ne pas suivre la transition vers le tout électrique.
- Réorganisation logistique et commerciale : Les concessionnaires, notamment dans le giron Citroën, voient déjà leurs marges s’effriter entre baisse des ateliers et incertitude sur le marché de l’occasion.
- Mobilité sociale et territoriale : La fameuse “zone blanche de la recharge” inquiète tous les territoires ruraux, peu couverts par les bornes rapides, accentuant la fracture entre ville et campagne.
- Compétitivité internationale : Face à une Chine qui subventionne massivement sa production (voir ce dossier), les acteurs européens redoutent que le virage forcé du tout électrique ne profite avant tout aux constructeurs asiatiques.
Le débat reste donc ouvert : la transition dynamisera-t-elle les filières européennes ou y laissera-t-elle trop de plumes ? Selon certains analystes, un rebond est possible, à condition d’investir véritablement dans la recherche, de soutenir l’écosystème industriel local et de développer l’offre pour les particuliers, en particulier grâce à des dispositifs tels que le leasing social ou l’évolution du bonus écologique en 2025.
A contrario, les risques sont bien réels. Comme le souligne certains cercles d’experts, la perte de savoir-faire mécanique pourrait profiter à la concurrence, notamment américaine (Tesla) et asiatique (BYD, Hyundai, Nissan). L’Europe ne peut donc se permettre ni la précipitation, ni l’immobilisme. Un numéro d’équilibriste qui fait, chaque jour, les gros titres des économies régionales.
La question de l’acceptabilité sociale et des conditions de la transition pour les particuliers – et donc l’avenir du marché – fera l’objet du prochain éclairage.
Consommateurs, infrastructures et perceptions : les vrais défis d’une transition électrique de masse
Si l’électrique progresse, l’adhésion du grand public n’est pas encore acquise. En 2025, le paysage des automobilistes européens reste bigarré, entre primo-installés enthousiastes, sceptiques du quotidien et utilisateurs résignés face aux politiques de restriction urbaine. Les freins sont nombreux et bien identifiés :
- Coût d’achat élevé des véhicules électriques comparé aux thermiques d’occasion, même avec prime ou leasing social.
- Autonomie jugée insuffisante par une majorité, notamment sur longue distance, malgré l’amélioration de modèles comme ceux de Tesla ou de Peugeot.
- Besoins accrus en infrastructures : le manque de bornes rapides ou universelles, ainsi que la vétusté de certains réseaux de recharge, reste un point noir, particulièrement dans certaines régions françaises ou italiennes.
- Difficultés techniques : la gestion de la recharge à domicile, la difficulté à trouver des pièces ou encore l’appréhension de la panne restent prégnantes (cf. le débat sur les pannes électriques).
- Incertitude sur la valeur résiduelle : la peur de voir la cote des véhicules électriques s’éroder, comme cela est redouté par les acheteurs de la première heure de la Nissan Leaf ou de la Fiat 500e.
La question des ZFE (“Zones à Faibles Émissions”) cristallise le débat et divise automobilistes et élus locaux. Tandis que certains voient dans la démocratisation du véhicule électrique une réponse logique (voir cette analyse), d’autres dénoncent une rupture sociale, excluant de fait les foyers modestes et accentuant les inégalités territoriales.
Des initiatives voient toutefois le jour pour accompagner ce passage à l’électrique, à l’image de la nouvelle Renault 4 électrique pour les entreprises, ou des dispositifs de leasings sociaux portés par l’État français et certains constructeurs.
La perception de l’offre électrique évolue également sous la pression des campagnes d’information, de la démocratisation de modèles comme la Hyundai Kona Electric ou la Citroën ë-C4, et des témoignages partagés sur les réseaux sociaux.
- Expériences d’utilisateurs : partage de “road-trip” en Tesla, panne rarissime sur la dernière Renault Zoe, découverte de l’autonomie réelle de la Fiat 500e… autant de récits qui normalisent petit à petit la mobilité électrique.
- Tutoriels et guides : abondance de contenus, par exemple sur la gestion du stress du premier départ en électrique ou les démarches d’entretien (en savoir plus ici).
- Mises à jour constructeurs : annonces de Peugeot, Nissan ou Mercedes-Benz sur les évolutions logicielles, la connexion avec les bornes rapides, la simplification de l’expérience client.
Reste à voir si la prochaine décennie permettra d’aligner les attentes sociales avec les impératifs environnementaux et industriels. La réponse viendra autant de la technologie que des politiques publiques.
Le dernier axe de réflexion porte sur le rôle changeant de l’Europe dans un jeu mondial où États-Unis et Chine semblent déjà jouer leur propre partition.
Europe sous pression : compétition internationale et adaptation réglementaire autour du 100% électrique
L’offensive réglementaire européenne sur le 100% électrique s’inscrit dans un contexte global de rivalité industrielle et commerciale. Face à la puissance de feu de la Chine, désormais leader sur les batteries et les voitures électriques grand public, l’Union européenne doit composer avec une asymétrie flagrante dans la production et l’innovation.
Les constructeurs locaux, à l’image de Volkswagen ou Mercedes-Benz, multiplient les plans d’investissement et d’innovation, mais peinent à rivaliser avec les volumes produits et les coûts maîtrisés des groupes asiatiques. Même Tesla, pourtant pionnière, se retrouve parfois dépassée par la dynamique de nouveaux entrants chinois, comme le révèle la bataille autour des parts de marché sur le Vieux Continent (voir ici).
- Barrières tarifaires : l’UE envisage de nouveaux droits de douane pour limiter l’importation des modèles chinois bon marché, afin de protéger sa propre industrie (voir aussi ce dossier).
- Standardisation des infrastructures : tentative de créer un réseau de recharge unifié, comme le projet paneuropéen Ionity, initié par Volkswagen, BMW et Mercedes-Benz.
- Recherche sur le recyclage et la circularité : investissements sur la seconde vie des batteries, la réutilisation des matériaux critiques, portés notamment par Renault et Nissan.
- Flexibilité réglementaire : les institutions européennes laissent entendre une possible adaptation ou dérogation sur l’échéance 2035, en fonction de la compétitivité du secteur et des résultats d’ici deux à trois ans (plus d’infos).
- Soutien public ciblé : renforcement des subventions pour la R&D, ciblant notamment les motoristes et fabricants de batteries installés en France, Allemagne et Italie.
La bataille pour la souveraineté industrielle européenne est désormais d’actualité. Alors que certaines voix appellent à un compromis, d’autres anticipent déjà une évolution profonde des règles du jeu (voir l’analyse ici), quitte à bouleverser le calendrier.
Derrière la promesse d’un “futur électrique” en 2035, l’Europe découvre que la compétition n’attend pas et que les certitudes d’aujourd’hui pourraient bien voler en éclats d’ici là. Plusieurs groupes, comme VW ou Peugeot, testent ainsi des solutions duales (modèles électriques et hybrides) pour ne pas se retrouver piégés, quelle que soit l’issue du bras de fer réglementaire.
- Adaptabilité des gammes : déploiement de plateformes multi-énergies chez Citroën et Nissan jusqu’en 2033 pour limiter les risques.
- Pilotage agile : plans d’urgence activables en cas de retournement réglementaire, comme l’envisage Mercedes-Benz pour ses sites européens.
- Projection hors Europe : développement prioritaire de modèles thermiques sur les marchés africains, sud-américains ou asiatiques encore non concernés par ce type d’interdiction.
Chaque acteur du secteur joue désormais une partie serrée, dans laquelle stratégie industrielle et puissance d’adaptation primeront autant que l’innovation technique brute. L’avenir dira si l’Europe saura faire de sa contrainte un moteur d’excellence ou si elle devra composer avec les conséquences imprévues d’un pari réglementaire aussi ambitieux.